Camille Zabka, Ne crains pas l’ombre ni les chiens errants, L’Iconoclaste.

« C’est la bonne nuit pour fuir. La lune éclaire la route. Je chante pour me donner le courage de rejoindre le village, au loin là-bas, de l’autre côté de la forêt. Je chante pour ma fille, endormie dans le kain. Une berceuse, quelques mots simples en bahasa: ils disent de ne pas craindre le vent qui gronde, ni les chiens errants dans l’ombre. Un arbre s’ébroue très haut. Je retiens mon souffle, protège mon enfant de mes mains. Un singe peut-être, ou un ours des cocotiers. Le bois se tait un court instant puis reprend sa rumeur nocturne. »

« A Magelang, j’ai découvert la chaleur. Pas une chaleur naturelle, non. Une chaleur recrachée par les pots d’échappement et la climatisation des maisons, une chaleur lourde des brûlis et des feux de forêt. Quand j’avais appris que nous viendrions vivre en Indonésie, j’avais rêvé un éternel été, une garde-robe légère, des chapeaux. Mais la chaleur ici est si étouffante. Elle comprime les corps, brûle les yeux et remplit la bouche, la gorge et le nez. Il n’y a pas de saison et le jour se lève toujours sur un ciel lourd de nuages. »

Pour finir cette première semaine de vacances, j’ai intercalé dans ma Pile à lire, conséquente, je veux bien l’avouer, la lecture du dernier Camille Zabka, Ne crains pas l’ombre ni les chiens errants. J’avais découvert l’autrice avec son premier roman, Celle qui attend, et avait tout de suite apprécié sa plume. A quelques jours près, mon Papa finissait Celle qui attend alors que je débutais la lecture du dernier paru. Vous l’avez déjà compris, dans la famille, on lit, on lit, on lit ! Une lecture qui a accompagné un après-midi de presque printemps, où le soleil commençait à chauffer notre peau qu’on osait exposer…

Ce roman ne peut pas être résumé : on perdrait toute la dimension poétique en se frottant à cet exercice. Si nous pouvons dire qu’il s’agit d’une femme qui prend la fuite avec sa fille, on lit ce roman comme un long poème, dédié à la vie, à ses peurs, à ses craintes, à ce que nous sommes et ce que nous pouvons devenir. Ce livre raconte l’espoir, la prise en main d’une vie que nous pensions toute tracée. Ce livre raconte aussi l’amour, sous toutes ses formes. L’amour filial qui n’est pas toujours compris lorsqu’il est là, l’amour conjugal qui parfois n’est déjà plus là, l’amour de la nature, l’amour de cet autre qui représente la liberté… Un roman polymorphe dans lequel le lecteur est plongé. Une jolie parenthèse poétique.

Emmanuelle Florquin, Walter ou l’impossible algorithme du Commis Voyageur, Librinova.

« Que crois-tu donc avoir été ? un dandy venu d’une autre époque ? Crois-tu vraiment que tu venais de nulle part ? As-tu oublié ces centaines de milliers de kilomètres chaque année que tu faisais ? mordre sur tes dents que tu disais… t’as oublié le prix payé pour te sentir le week-end gai et spirituel en claquant ton fric, le prix de la route tu l’as oublié et celui de tes clients aussi qui t’emmerdaient au point que tu ne leur répondais plus, t’as oublié ? Crois-tu avoir été unique ? Exceptionnel ? Tes souvenirs ont fait de moi un mythe. Le pire c’est que tu te crois encore anti-conformiste mais quand donc vas-tu me lâcher les bretelles Walter ! »

« Au hasard il avait tapé dans Google Le Problème du commis voyageur (The Salesman’s Problem) et avait découvert avec stupeur qu’il s’agissait d’un problème mathématique, un algorithme ! Un monde gigantesque s’ouvrait à lui. Richard avait donc vu juste en martelant à tout le monde que les déplacements d’un commis voyageur posaient problème, les scientifiques même le disaient que c’était mathématiquement insoluble et depuis des lustres ! Quelle trouvaille ! Quelle énigme ! »

Alors que certains départements se voient confiner le week-end, il est temps – si vous avez une pile à lire qui s’épuise – de faire les stocks ! Pour ma part, je ne suis jamais à court de livres, tant ma bibliothèque regorge de romans achetés, trouvés, donnés, qui sont encore à lire ! En cette fin février, je vous présente le dernier roman d’Emmanuelle Florquin, que je remercie d’ailleurs pour l’envoi de son livre. Pour une férue des mathématiques que je suis, j’ai trouvé le titre très original et il m’a fait me poser plein de questions sur l’intrigue qui pouvait se dessiner derrière…

Walter était un commercial. L’un des meilleurs, au chiffre d’affaire annuel qui explose. Pourtant, lorsque son ancienne entreprise veut lui faire signer un contrat, cela n’a plus rien à voir. Les directeurs ne sont plus les mêmes, et le nouveau a clairement une dent contre Walter. Entre bâtons dans les roues, rabaissement et pièges tendus, Walter continue pourtant inlassablement à travailler du mieux qu’il peut. Comment ce personnage va-t-il se construire dans ce monde du travail en contraste avec ce qu’il a pu connaître dans une autre époque ?

Ce roman est le premier tome d’une trilogie. Si l’histoire de ce livre peut sembler banale, j’ai apprécié la façon dont elle est conduite. Les dialogues, qui pourraient très bien être adaptés sur une scène, donnent à ce texte un air de l’Atelier Volant de Valère Novarina, où le monde du travail est scindé en deux, d’un côté les employés prisonniers de la chaîne du travail, et de l’autre un patron à l’insolence des plus parfaites ! Walter apparaît ici comme le prisonnier de son patron, sa marionnette, et il est dépassé par ce nouveau monde de fonctionnement. Un roman qui se veut être une réflexion sur le monde du travail, dans laquelle – en amateur de théâtre – nous pouvons voir une dimension cathartique.

Michel Bussi, Rien ne t’efface, Les Presses de la Cité.

« La ritournelle gagne en intensité, semble s’approcher, sans gagner en qualité, bien au contraire. Je vois enfin apparaître Tom. C’est lui qui joue ! Il se dirige vers le banc, au milieu de la cour de la ferme. C’est d’abord sa solitude qui me frappe, cette étrange inquiétude dans son regard, comme s’il avait été parachuté dans la cour, était tombé d’une lune ou d’une fusée, et que chaque détail l’effrayait. Esteban avait le même regard, une absence, une distance, cette fenêtre ouverte sur une planète où seuls les véritables artistes peuvent s’égarer. Mais Esteban était un enfant aimé, entouré, écouté. J’étais attentive à la moindre de ses qualités. Tom, lui, paraît… abandonné. »

« Je parviens déjà à l’entrée de Murol quand RFM Auvergne cesse de grésiller. Jean-Jacques Goldman grave l’écorce, jusqu’à saigner. Ma première consultation n’est que dans une heure, je les avais toutes décalées, ignorant combien de temps les gendarmes allaient me garder. J’ai une heure à tuer ! J’hésite entre m’arrêter au cabinet ou remonter jusqu’au Moulin, le temps de boire un café, de faire un câlin à Gaby, il doit être encore au lit… »

Il y a des sorties incontournables. J’attends toujours avec impatience le nouveau roman de Michel Bussi. J’ai donc intercalé cette lecture entre deux autres romans de ma Pile à lire – que j’ai tout autant envie de découvrir. Mais l’appel du suspense, du mystère, de la plume de Michel Bussi a été plus fort que tout ! Et je n’ai pas été déçue ! Comme d’habitude, vous ne trouverez pas un grand résumé, pour que vous puissiez vous délecter de la découverte de cette intrigue…

Maddi, médecin, et son fils Esteban – qui fête ses dix ans – ont un rituel. Après une promenade au bord de la mer, Maddi donne une pièce d’un euro à son fils pour qu’il s’arrête à la boulangerie avant de rentrer, seul, pendant qu’elle prend sa douche. Sauf qu’en ce matin d’anniversaire, Esteban ne rentre pas. Dix ans plus tard, alors que Maddi a refait sa vie, avec Gabriel, elle aperçoit le sosie d’Esteban, sur cette même plage où il a disparu. Une obsession : le retrouver. Jusqu’où ira Maddi pour retrouver ce jeune garçon ? Gabriel la suivra-t-il dans cette folie ?

Une fois de plus, Michel Bussi met au défi les lois de notre logique interne ! Une intrigue qui mêle une rationalité exacerbée à une surnaturalité des plus incontestables. Vous l’aurez compris, ce roman se tisse sur des contradictions qui s’attirent – sur des ressemblances opposées. Un roman aux multiples paradoxes qui pourtant nous offre un fil, un guide dans les grottes de Jonas. Notre issue dans ce qui semble être un mouroir. On s’y accroche. On y croit. Et la résolution n’en est que plus fantastique. Une histoire hautement machiavélique, à la limite de la cruauté. Un roman de Michel Bussi comme on les aime !

Jean-Baptiste Andréa, Des diables et des saints, L’Iconoclaste.

« Et puis un jour, au détour d’une sonate, j’ai saisi. Personne n’a pensé que Dieu était peut-être, tout simplement, sourd comme un pot ? Qu’il l’était déjà quand son fils a lancé Eli, Eli, lama sabachthani, pourquoi m’as-tu abandonné ? Qu’il n’a abandonné personne, qu’il a bien vu les lèvres bouger, les lèvres blêmes de son enfant, mais qu’il n’a pas compris ? »

« Parce que tu n’entends pas. Beethoven était complétement sourd quand il a écrit ce morceau. Mais il entendait. Ce que je joue, et je te joue l’un des plus beaux adagios de l’histoire – regarde leurs figures si tu ne me crois pas -, ce que je te joue, je ne le cherche pas en dedans. En dedans je suis vieux, malade, en dedans je suis vide, d’autres hommes y ont veillé, en dedans je suis sale. Pour jouer comme ça, tu devras prendre le goût du dehors. Là tu trouveras le rythme. »

Malgré une pile à lire qui est bien fournie, et dont j’ai envie de lire chacun des livres qui s’y trouvent en même temps, je ne résiste pas à la parution de certaines nouveautés, d’auteurs que j’affectionnent particulièrement. Jean-Baptiste Andréa fait parti de ces auteurs. Je l’ai découvert au Livre sur la Place, alors qu’il présentait son livre précédent. Plus je l’entendais parler de ce dernier, plus j’avais envie de le lire. Le lendemain, je me suis rendue à son stand, où nous avons discuté autour de la musique. Etant musicienne, c’était un plaisir d’échanger sur ce sujet. J’avais adoré l’idée de bande son qui était sortie pour illustrer son précédent roman ! Quand j’ai vu que Des diables et des saints parlait – entre autre – de musique, je n’ai plus résisté et j’ai ouvert le livre directement…

Joseph a un certain âge, et est pianiste. Enfin, non, pas tout à fait : il n’a pas de piano et n’est pas connu. Il joue avec les pianos des autres, ceux qui appartiennent à tout le monde, et à personne, ceux mis à disposition dans les gares ou les aéroports. Les passants sont unanimes, émerveillés par son talent. Un voyageur, qui s’étonne qu’il ne joue pas ailleurs que dans cette gare, l’entraîne à raconter son histoire, celle de diables, et de saints…

Des diables, des saints, sont-ils deux entités distinctes ? Ce roman a une temporalité duale: on suit à la fois les aventures d’un Joseph âgé, libre, et celle de son double, jeune, vivant dans un orphelinat. On plonge dans l’histoire de ce jeune garçon, dans cette quête qui l’a conduit dans cette gare. Un livre qui nous emporte, un peu à la façon du Grand Meaulnes, dans un monde ancien, où la jeunesse et les découvertes qui lui sont associées sont mises au premier plan. A lire sans plus attendre, au Clair de lune, avec un peu de Beethoven dans les oreilles.

Emmanuel Adely, et sic in infinitum, Maison Malo Quirvane.

« ainsi et de cela il y a longtemps des années et des siècles les 18 ans des garçons des deux côtés avaient la certitude de se battre pour le bien et se battaient dans la foi et se battaient dans la vigueur car se battre et vaincre est le propre des garçons »

« car hormis le dieu au nom de chacun dans sa langue et hormis la langue d’après Babel ce serait mêmes pieds mêmes jambes mêmes ventres mêmes bras mêmes cous mêmes têtes face à face ce serait mêmes corps pleins de fluides et de vie encore gauche et désir animal »

Nous voilà en février. J’hésite entre déjà et seulement tant notre perception du temps est suspendue avec cette crise sanitaire… En tous cas, cette année est pleine de surprises livresques ! C’est le facteur qui m’a apporté ce livre, et je tiens tout d’abord à remercier Babelio, et la maison d’éditions, pour l’envoi de ce livre singulier. Lorsque je l’ai pris en main, j’ai été charmée par ce titre en latin, et la quatrième de couverture : « il y a vrai dieu d’un côté et il y a vrai dieu d’un côté et ce n’est pas le même et ça pourrait résumer à ça c’est-à-dire à ceci qu’il y aurait le vrai dieu des deux côtés… ». La première page du livre mentionne l’intention de la maison d’éditions: proposer des textes inspirés par des tableaux du XVIIème siècle, exposés au Louvre. L’auteur s’est inspiré du Portrait d’Alof de Wignacourt par le Caravage. Cette impulsion, très originale, présente un joli exercice de style…

Un résumé de cette œuvre serait réducteur. Si votre curiosité est exacerbée, je vous recommande de lire ce livre en une fois, en une seule respiration. Un récit qui s’étend sur quelques quarante pages, sans majuscule, sans point. Sans phrase aucune. Des répétitions. Une logorrhée qui nous plonge dans un combat du XVIIème siècle, au plein cœur de ce tableau. Une lecture qui ne peut vous laisser de marbre. Si la lectrice que je suis a été bousculée dans ses attentes, la prof de français quant à elle a été horrifiée par l’absence de construction syntaxique. Ce texte pourrait être adapté en théâtre : un long monologue qui rappellerait Lucky dans un certain Godot qu’on attend toujours…